Émissions financées : le rôle du PCAF
16-07-2025 - par Célestine Moreira

Que sont les émissions financées ?
1.1 Pourquoi les émissions financées sont-elles devenues si importantes ?
Contrairement à une idée encore parfois trop répandue, les entreprises et institutions financières ne sont pas de simples “courroies de transmission” de l’économie. En finançant des entreprises, des projets ou des actifs, elles influencent directement le volume d’émissions de GES (gaz à effet de serre) générées dans l’économie réelle, et donc sur le climat. Ce sont ces émissions indirectes que l’on appelle les “émissions financées”.
Ces émissions sont classées dans le Scope 3, catégorie 15 selon le GHG Protocol (Greenhouse Gas Protocol), qui regroupe toutes les émissions de GES liées aux investissements et activités de financement. Et le poids climatique de ces émissions financées est considérable : pour une banque ou un gestionnaire d’actifs, elles représentent souvent plus de 95% de l’empreinte carbone totale de l’institution financière concernée.
Il ne peut pas exister de plan de transition pour le climat crédible pour les acteurs de l’investissement sans mesure rigoureuse de ces émissions de GES indirectes, d’où la nécessité d’un cadre structurant pour ce secteur si particulier.
1.2 L’absence d’un standard spécifique aux institutions financières avant le PCAF
Avant la mise en place du PCAF, les entreprises et institutions financières qui souhaitaient mesurer leurs émissions financées rencontraient deux obstacles principaux :
- L’absence de méthode commune : chaque institution avançait de son côté en utilisant ses propres hypothèses ou calculs, ce qui rendaient les comparaisons entre institutions financières impossibles.
- Le manque de transparence : certaines entreprises et institutions financières pouvaient exclure des pans entiers de leurs portefeuilles ou pouvaient choisir d’utiliser des facteurs d’émissions en réalité peu représentatifs de leur impact carbone dans l’économie réelle.
Ces deux obstacles donnaient donc lieu à une comptabilité carbone très inégale d’un acteur à l’autre, souvent limitée à une poignée de classes d’actifs ou de secteurs choisis, à la limite du greenwashing parfois. Dans ce contexte, les exigences de plus en plus importantes à propos de la transparence et de la comparabilité portées par les cadres comme le CDP ou la SBTi ne pouvaient être satisfaites entièrement.
C’est pour répondre à ce gap méthodologique qu’est né le Partnership for Carbon Accounting Financials (PCAF).
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Comment fonctionne le PCAF ?
2.1 Un cadre de référence basé sur le GHG Protocol
Le PCAF repose sur une logique simple : si une entreprise ou institution finance ou détient une fraction d’un actif ou d’une entreprise, elle doit en comptabiliser une part équivalente des son calcul d’émissions de GES. L’approche du PCAF est donc proportionnelle à la part de financement ou de détention.
Par exemple, si une banque accorde un prêt de 2 millions d’euros à une entreprise pour son développement, et que cette entreprise a un total de 10 millions d’euros de dettes ou de financement externes. La banque finance donc 20% des besoins financiers de l’entreprise. Si cette entreprise émet 1000 TeqCO₂ (tonnes en équivalent CO₂) par an, alors la banque X devra comptabiliser 20% de ces émissions de GES dans son propre bilan carbone, au titre des émissions financées.
Cette logique est alignée avec le mode de fonctionnement du GHG Protocol, qui reconnaît les émissions de GES liées aux investissements comme une catégorie distincte du Scope 3 la catégorie 15 en l’occurrence). Le PCAF formalise cette approche et fournit une méthodologie standardisée et gratuite, que les entreprises et institutions financières peuvent adopter quel que soit leur niveau de maturité carbone.
L’objectif n’est pas la perfection immédiate des données carbone, mais l’adoption d’une méthode claire, transparente, et surtout comparable pour toutes les entreprises et institutions financières.
2.2 Les six catégories d’actifs couvertes par le PCAF
L’édition actuelle du standard PCAF (la dernière mise à jour date 2022, la prochaine est toujours en cours de réflexion via un groupe de travail dédié) couvre six grandes classes d’actifs que l’on retrouve dans la majorité des portefeuilles financiers :
- Prêts aux entreprises non cotées
- Prêts aux entreprises cotées
- Obligations d’entreprise
- Actions d’entreprise
- Prêts hypothécaires résidentiels et commerciaux
- Financement automobile et autres prêts à la consommation
Chaque catégorie a des propres méthodes de calcul qui leur sont propres, adaptées à la nature de l’actif et à la disponibilité des données : intensité carbone sectorielle, émissions de GES auto-déclarées, données financières, hypothèses par défaut… Le standard détaille de manière granulaire ces modalités, ce qui permet de couvrir un portefeuille dans sa quasi totalité, même s’il est hétérogène.
2.3 L’approche par qualité de données (data quality score)
L’un des points principaux du PCAF est sa gestion explicite de l’incertitude. Chaque calcul est associé à un score de qualité de données, noté de 1 à 5. Un score de 1 représente la meilleure qualité de données, ce sont des données réelles vérifiées. Un score de 5 représente la moins bonne qualité de données, ce sont des données très agrégées ou estimées à partir de moyennes sectorielles. Ce système présente deux avantages pour les entreprises et institutions financières concernées :
- Il oblige les entreprises et institutions financières à documenter leur approche et à reconnaître les zones d’approximation
- Il encourage une amélioration continue : on peut commencer avec des données imparfaites scorées à 4 ou 5, tout en s’engageant à progresser et atteindre un score moyen de 1 ou 2 au bout de quelques années
Ce système de score des données carbone signifie qu’il vaut mieux avoir une estimation honnête de ses émissions financées qu’une perfection illusoire.
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Comment le PCAF est-il mis en pratique par les institutions financières ?
3.1 Rejoindre la coalition PCAF
Le PCAF n’est pas un label, ni une obligation réglementaire, mais un référentiel, une méthodologie. C’est une initiative volontaire, gratuite et disponible en open source. Aujourd’hui, plus de 600 entreprises et institutions financières dans plus de 50 pays y participent (banques, gestionnaires d’actifs, assureurs, institutions publiques…)
Pour rejoindre la coalition, il suffit de signer une charte d’adhésion et de s’engager à publier régulièrement et de manière transparente ses émissions financées en suivant la méthodologie du standard. Cette transparence permet de renforcer la crédibilité de la démarche, et de créer une dynamique collective dans le secteur des investissements.
3.2 Intégrer le PCAF dans les pratiques de reporting ESG
Le PCAF est souvent utilisé comme brique méthodologique dans des stratégies ESG plus larges. Il s’intègre donc en priorité avec les standards suivants :
- La SBTi (Science Based Targets Initiative), qui exige une comptabilité rigoureuse pour valider une trajectoire alignée 1,5°C
- Le CDP (Carbon Disclosure Project), qui demande des données carbone précises et vérifiables
- Les obligations réglementaires européennes comme la Taxonomie Verte de l’Europe ou bien la SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation)
Le PCAF permet donc, en pratique, de constituer une base de calcul carbone des portefeuilles des entreprises et institutions financières. Cette base commune est indispensable pour fixer des objectifs de réduction, construire une trajectoire de décarbonation, et mettre en place des leviers d’action concrets comme l’engagement actionnarial, le désinvestissement, les exclusions etc.
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Les prochaines évolutions du PCAF
4.1 Nouvelles catégories d’actifs et actualisation continue
Le standard ne cesse d’évoluer pour intégrer de nouveaux types d’actifs ou de contextes spécifiques. Si la dernière mise à jour date de 2022, des groupes de travail techniques travaillent actuellement sur l’intégration de nouveaux types d’actifs à intégrer aux calculs d’émissions de GES :
- La dette souveraine, aujourd’hui absente du périmètre, mais très présente dans les portefeuilles obligataires
- Les produits dérivés
- Les émissions de GES évitées, pour mieux prendre en compte les investissements “verts”
Toutes ces évolutions sont discutées publiquement, via des consultations ouvertes. Le PCAF repose sur une gouvernance collaborative et transparente.
4.2 Vers une adoption réglementaire implicite ?
Même s’il reste un outil volontaire, le PCAF est de plus en plus intégré dans les référentiels réglementaires. Il est recommandé, voire implicite, dans plusieurs cadres réglementaires européens et internationaux :
- La CSRD (Europe), qui exige un reporting carbone Scope 3 structuré et documenté
- L’ISSB (norme internationale de durabilité financière), qui se base sur le GHG Protocol, la même méthodologie dont est issue le PCAF
Autrement dit : sans être obligatoire, le PCAF devient quasi-incontournable pour produire un reporting ESG crédible dans le secteur de la finance.
Le PCAF n’est peut-être qu’un standard volontaire aujourd’hui, mais il cristallise une réalité plus large : la responsabilité des acteurs financiers dans la transformation climatique. Demain l’enjeu ne sera plus seulement de mesurer les émissions financées, mais d’orienter activement les capitaux vers une économie alignée avec les limites planétaires. Cela posera de nouvelles questions : comment combiner performance financière et impact environnemental ? Quel rôle pour les produits financiers innovants ? Jusqu’où pousser la transparence ? Autant de défis à anticiper dès maintenant, pour que la finance devienne vraiment un levier de transition.